Compte rendu de la conférence du salon de généalogie de Paris 15e le 17 mars 2023 : Identifier et comprendre les uniformes militaires, par le lieutenant-colonel Joussen de la Division Symbolique au Service historique de la Défense
Il s’agit d’une introduction à l’uniformologie et surtout l’uniformologie militaire. Le but de cette conférence est de donner des fourchettes de temps qui vont permettre l’identification d’un uniforme et donc d’une personne. Le propos se limite à la France.
Merci à Mathilde pour la photo !
L’uniformologie est d’abord une science exacte puisqu’il existe des règlements qui expliquent les détails de l’habillement militaire. Dans la pratique, ce n’est pas tout le temps le cas parce que les Gaulois cherchent à se distinguer. Les soldats vont donc essayer de personnaliser en quelque sorte leur uniforme, et puis ils vont l’utiliser jusqu’au bout et n’en changer qu’une fois que l’uniforme précédent est usé.
1- Historique
L’uniforme est une invention relativement récente pour le monde militaire puisqu’il date de la professionnalisation de l’armée sous le règne de Louis XIII et est apparu très exactement en 1659. Auparavant les armées étaient des armées de mercenaires que l’on payait pour faire la guerre uniquement et que l’on renvoyait à la fin des campagnes. A partir de Louis XIII le soldat va être une personne dont c’est le métier de combattre et qui est payé par l’État même s’il n’y a pas de combat.
L’uniforme est un habit qui a une coupe unique. Elle est la même pour tous ceux qui portent l’uniforme.
Cela a plusieurs avantages :
- cela permet une production en masse donc des coûts de fabrication réduits
- cela permet aux combattants de se reconnaître sur le champ de bataille : à l’époque les combats finissent au corps à corps. L’uniforme permet de savoir si la personne en face de nous est un ami ou un ennemi.
- cela permet aux officiers de savoir où sont leurs troupes sur le champ de bataille, en repérant les uniformes. C’est pour cela que jusqu’à la Grande Guerre les uniformes, surtout ceux de l’armée française, sont très colorés pour permettre la reconnaissance des régiments et des troupes.
A l’inverse dans la marine les uniformes sont beaucoup plus sobres puisqu’il n’y a pas besoin de se reconnaître : tous ceux qui sont sur le bateau sont des amis. De plus, le bateau est un espace très sale, et salissant.
L’uniforme permet aussi de fidéliser les soldats. Sous l’Ancien Régime il y a une prime d’engagement que les soldats reçoivent lorsqu’ils s’engagent auprès d’un régiment. Avant l’apparition de l’uniforme, certains s’engageaient dans un régiment et touchaient la prime, puis désertaient en jetant le fusil dans un fossé et allaient se réengager dans un autre régiment pour toucher à nouveau la prime.
Avec l’apparition de l’uniforme, ils changent de vêtements en s’engageant et portent des habits marqués et donc ne peuvent plus déserter pour se réengager : même s’ils jettent leur fusil, ils gardent leur uniforme et donc sont repérés comme déserteurs.
Sous le règne de Louis XIV des règlements de plus en plus nombreux apparaissent pour tous les régiments qui sont créés.
Dès cette époque, les tenues des soldats français sont colorées, jusqu’à l’apparition des armes automatiques : en 1915 c’est la fin du pantalon garance. L’uniforme bleu horizon si célèbre devient la tenue des soldats français. Elle est camouflable. On passera ensuite au kaki.
L’identification reste cependant possible mais beaucoup plus discrète : les numéros des régiments sont par exemple inscrits sur les cols des habits, avec des chiffres de laine.
Depuis les années 1920 on distingue la tenue de combat, camouflable, et la tenue de sortie, beaucoup plus élégante et qui peut être un peu moins pratique à porter que la tenue de combat.
Les règlements édités depuis le règne de Louis XIV permettent de savoir à quelle unité appartient un homme.
2- Les pièges à éviter
Une bibliographie existe, elle est très importante mais il faut se méfier des ouvrages de peu de valeur qui sont très nombreux. De façon générale, tous les ouvrages du 19e siècle et jusqu’à la Grande Guerre sont très sérieux, ensuite il faut se méfier. Le Service Historique de la Défense à Vincennes a une très bonne bibliothèque sur le sujet.
Lorsque l’on cherche à identifier une photo :
- les peintures et les gravures sont soumises à l’interprétation du peintre qui va enjoliver la réalité et qui n’est pas un spécialiste de l’uniforme et donc peut modifier certains détails rendant difficile voire impossible l’identification de la personne représentée
- les photos posées, particulièrement les portraits que les conscrits faisaient lors de leur service militaire, sont soumises à des risques d’embellissement : les photographes vont rajouter des accessoires qui ne seront pas corrects par rapport à la réalité de la fonction du conscrit ou qui ne seront pas de la bonne époque
- le plus fiable ce sont les photos prises sur le vif. On en a quelques-unes pour la guerre de Crimée et beaucoup plus pour la Grande Guerre. Il faut toutefois faire attention aux tenues disparates : pour des raisons d’économie on utilise son uniforme jusqu’au bout avant de le changer et de prendre celui qui a été instauré par le nouveau règlement. L’armée française mettra ainsi un an et demi à passer au bleu horizon.
Pour dater une photo, il faut donc chercher l’élément le plus récent qui permettra de réduire la fourchette de dates.
Pour l’officier, puisque c’est lui qui paye, il a tendance à mettre un peu de fantaisie dans son uniforme, à l’adapter ou à l’ajuster à la mode civile. Pour les officiers de cavalerie, c’est systématique, il y a en quelque sorte un jeu qui consiste à porter une pièce d’uniforme qui n’est pas du tout réglementaire.
Si l’on revient sur la bibliographie, il faut faire attention aux livres publiés depuis 1945, qui ne sont pas forcément fiables, voir complètement erronés.
Quelle que soit la période, la tenue de temps de campagne est une tenue dans laquelle on veut être à l’aise : elle ne respecte donc pas forcément les règlements. Elle est souvent plus disparate : la récupération de pièces d’uniformes de camarades, voire d’ennemis est aussi très possible, quelle que soit la période.
Attention : les uniformes ne sont pas réservés aux militaires ; les douaniers, les pompiers, l’administration pénitentiaire, l’administration coloniale portent aussi des uniformes.
Les pompiers peuvent avoir souvent des uniformes assez proches des militaires. La référence dans le domaine, ce sont les pompiers de Paris qui sont bien militaires ; les pompiers des autres villes de province (puisque pendant longtemps chaque ville était responsable de ses sapeurs-pompiers) suivaient la mode des pompiers de Paris, mais avec un décalage dans le temps : à Colmar, à la Libération, les pompiers portent ainsi un casque qui était celui des sapeurs-pompiers de Paris un demi-siècle plutôt.
3- Comment lire un uniforme ?
Il faut d’abord repérer la coupe de l’habit : dans les années 1830 à 1860 par exemple la veste est cintrée et ensuite s’évase à partir de la taille, un peu comme une jupe en quelque sorte.
De 1860 à 1880, l’habit va avoir un boutonnage double. C’est lié à une question bêtement économique : ce boutonnage double permet de changer le sens de boutonnage et donc d’économiser les boutons qui durent deux fois plus longtemps que s’il y a un seul boutonnage.
La capote grise de l’armée française fait son apparition en 1905.
Depuis la Révolution française, les boutons permettent de reconnaître les unités : au départ, c’est le numéro du régiment qui était indiqué ; aujourd’hui, il indique uniquement l’arme. Avant la Grande Guerre les soldats portaient un ceinturon sur lesquels l’arme aussi était indiquée. Jusqu’en 1991 le numéro de l’unité est indiqué sur le col.
Une fois que l’on a repéré le numéro de l’unité, il ne faut pas hésiter à à faire une recherche Wikipédia pour connaître l’historique de ce corps ; les pages concernées sont souvent très fiables.
Si on a affaire à une photo de conscrit, celle-ci était souvent prise dans la ville de garnison donc les éléments au dos de la photo peuvent aider à connaître la ville de garnison et donc à identifier un conscrit.
La fourragère est un élément d’uniforme que l’on retrouve sur l’épaule gauche : il s’agit d’un cordon tressé qui fait le tour de l’épaule. Elle est apparue en 1915 et indique une croix de guerre collective pour un régiment.
Sur la manche gauche on retrouve également dans un losange de toile l’insigne de spécialité : il permet à un officier de savoir directement quels sont les spécialités des hommes qu’il commande sans avoir à leur poser la question. L’apparition de ces insignes est connue et datée, cela donc peut donc permettre de dater un uniforme.
Les décorations concernent essentiellement les soldats engagés, les officiers et les sous-officiers ; les conscrits en portent peu. Elles sont identifiables assez facilement si l’on distingue la médaille.
Pour la Légion d’Honneur, la Médaille Militaire et plus tardivement la Médaille du Mérite, elles sont gérées par la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur qui publie au Journal Officiel les listes des membres des ordres concernés et conserve des dossiers : les archives permettent de connaître les noms des personnes qui ont reçu ces décorations.
La croix de guerre, ou la croix de la Valeur Militaire pour la guerre d’Algérie, puisqu’on ne parlait pas de guerre à l’époque, sont toujours accompagnées par une citation, c’est-à-dire un texte qui explique l’action par laquelle un homme a mérité cette décoration. Ces citations, qui étaient autrefois publiées au Journal Officiel, sont toujours enregistrées par la hiérarchie militaire, et sont conservées au Centre des Archives du Personnel Militaire à Pau. On peut tout à fait en faire une demande gratuitement, en indiquant la décoration concernée, les noms des personnes probables, et tous les éléments d’identification que l’on a déjà : l’unité, le grade, … Cela simplifie le travail des chercheurs. Trois couleurs de ruban sont possibles pour la croix de guerre : l’un pour la guerre de 14, l’autre pour la guerre de 39-45, le troisième pour les théâtres d’opérations extérieures (il est apparu en 1920 et est encore utilisé, donc il permet moins facilement de dater une photographie). La présence d’une citation, et donc de la croix de guerre ou de la croix de la valeur militaire est mentionnée sur la fiche matricule ou sur l’état signalétique des services. Sur le ruban, on peut trouver une étoile ou une palme qui indique le type de citation.
Attention : tous les morts pour la France de la Grande Guerre ont reçu la Croix de Guerre et la Médaille Militaire. Dans ce cas-là, on ne trouve pas de citation. Le cas se présente lorsque l’on retrouve les deux décorations de la Croix de Guerre et de la Médaille Militaire mais qu’elles ne sont pas sur une photographie ou sur un soldat de l’uniforme.
Pour de nombreuses campagnes de la seconde moitié du XIXe siècle, des médailles commémoratives des campagnes ont été créées.
Attention à la médaille coloniale, créée en 1895 et sur le ruban de laquelle on ajoutait des agrafes avec le nom des campagnes concernées. Auparavant, on créait une médaille par campagne.
Ces décorations ne sont pas enregistrées par un texte comme une citation, ni même obligatoirement mentionnées sur la fiche matricule.
Pour en savoir plus sur ces décorations, le site France Phaléristique est une référence. Il donne l’historique et tous les textes de loi relatifs à une décoration.
L’insigne qui se porte aujourd’hui sur la poche droite est une génération spontanée qui vient de l’aéronautique. Il n’a été réglementé qu’en 1940 mais est apparu bien plus tôt dans de nombreuses unités.
Les dates de création et de modification de ces insignes sont documentées. Ces insignes sont très utiles pour identifier des photos de la période de 1930 à 1950.
Toutes ces informations rendent plus facile l’identification d’une personne qui porte un uniforme sur une photo. Attention, une marge d’erreur est toujours possible ; c’est particulièrement vrai dans le cas de fratrie de conscrits qui vont tous faire leur service militaire dans le même régiment : il va être difficile de différencier précisément duquel il s’agit si on se retrouve avec plusieurs garçons qui ont deux ou trois ans d’écart.
Pour l’identification d’une personne, attention à ne pas oublier les grades : aujourd’hui les galons se trouvent sur les épaules ; auparavant ils ont pu se trouver également au bas des manches. Les galons sont apparus sous le Second Empire. De 1926 aux années 1950, on les trouve au bas des manches ; aujourd’hui seuls les gendarmes les conservent à cet emplacement.
La revue Uniformes est une référence pour le sujet des uniformes, même si certains articles peuvent être parfois très pointus. Cela peut aider lorsque l’on a une question sur un point particulier.